Interview
L’UNIVERS ÉNIGMATIQUE DE BORIS ELDAGSEN
Un portrait intrigant, un univers aussi lumineux que sombre et une impression de familiarité étrange. C’est ce sentiment qu’inspire le travail de Boris Eldagsen. Artiste photographe doublé d’une touche de philosophe, Eldagsen n’est pas qu’un simple observateur. Il est un homme empli de profondeurs, interrogeant sans cesse le monde qui l’entoure. Son parcours artistique est un témoin de cette incessante quête, marqué par une fascination et des interrogations profondes.
Ses expérimentations avec l’intelligence artificielle s’inscrivent en parfaite harmonie avec cette démarche. Mais elles ouvrent également un vaste débat sur l’éthique de l’IA dans l’art et, plus largement, dans notre société. Le refus retentissant de Eldagsen du prestigieux Sony World Photography Award, attribué pour son œuvre «The Electrician», en est la preuve.
En présentant une image générée par l’IA, il a voulu sonder la réceptivité du monde photographique à cette nouvelle forme d’art. Sa sélection comme lauréat de la catégorie «Création» était pour lui une occasion de sonner l’alarme sur la nécessité d’approcher cette puissante technologie avec prudence et éthique. Rencontre avec un artiste captivant, qui apprend à poser les bonnes questions.
Votre univers est fascinant. Comment le décririez-vous et qu’est-ce qui vous y a conduit ?
B.E.: J’ai étudié l’art et la philosophie dans le but de pouvoir trouver une réponse. Aux grandes questions de la vie. Aujourd’hui, j’ai appris que je ne pourrai poser que de meilleures questions. Et que notre structure psychologique nous empêche souvent de grandir, de communiquer, d’aimer. Il y a 15 ans, j’ai commencé à travailler avec une approche psychologique. L’idéal serait que mon univers ne devienne pas ma “planète solitaire”, mais un reflet de l’inconscient collectif. Une réflexion de l’ombre au sens jungien du terme.
Alors que vous pouvez contrôler tous les paramètres de la photographie ou de la peinture pour donner vie à votre vision, l’utilisation d’outils tels que Midjourney peut s’avérer quelque peu imprévisible, même avec des prompts très précis. Y a-t-il toujours une intention artistique sous-jacente ?
B.E.: En tant que photographe et dessinateur, je n’ai jamais pensé que je pouvais tout contrôler. C’est une compétence clé de l’artiste que de travailler avec l’imprévisibilité et de voir les occasions où l’on peut intervenir et mettre le chaos de la vie (ou le matériau avec lequel on travaille) dans un ordre qui donne du sens. Il en va de même pour toutes les formes d’art, y compris l’intelligence artificielle. Y a-t-il toujours une intention artistique sous-jacente ? En tant qu’artiste, je peux travailler à partir d’un concept, d’une idée - ou suivre des pulsions inconscientes, des émotions, afin d’en prendre conscience. Il en va de même pour tous les créateurs.
Lorsque vous créez des prompts, formulez-vous la composition à l’avance ou vous concentrez-vous sur la création d’une ambiance ?
B.E.: J’ai identifié 13 éléments pour les prompts. La composition et l’ambiance en sont deux d’entre eux. Vous pouvez également utiliser : le sujet, le solidificateur, l’action, le lieu, le médium, les aspects techniques de ce médium, les références, les genres, la lumière, les couleurs et les stimulants. J’ai mis au point un système cohérent que j’enseigne dans des workshop en ligne.
L’équilibre entre l’utilisation de Midjourney et les préoccupations éthiques est complexe. Étant donné qu’il est formé sur des contenus protégés par le droit d’auteur et qu’il peut imiter le style d’un artiste sans son consentement, quelles sont les considérations morales à prendre en compte ?
B.E.: Les data de training doivent provenir de sources éthiques. Il n’y a pas de compromis sur ce point. Personnellement, je n’utilise pas de noms d’artistes ou d’images dont je ne possède pas les droits d’auteur. Je commence souvent par des prompts textuels, puis j’utilise les images générées pour les prompts image2image, blend et image.
Alors que l’art généré par l’IA gagne en importance, certains artistes traditionnels s’inquiètent d’une dévaluation potentielle de leur art. Est-il possible de trouver un équilibre entre l’art généré par l’IA et les médias artistiques conventionnels ?
B.E.: Dans l’art contemporain, je ne pense pas que les artistes seront remplacés. Pour moi, l’art est une expression de la condition humaine. Si une IA veut créer de l’art, elle doit exprimer la condition-même de l’IA. Nous aurions alors deux espèces. Mais une IA aussi puissante n’existe pas encore. Dans les emplois créatifs, l’IA est sans aucun doute une menace et elle supprimera des emplois... et en créera de nouveaux.
Quel message adressez-vous aux nouveaux créateurs ?
B.E.: Considérez l’IA comme un accélérateur de connaissances. Vos compétences, vos connaissances sont le matériau avec lequel vous travaillez. Utilisez-les et le résultat sera différent. Expérimentez avec text2image. La plupart des gens sont trop paresseux pour le faire. Un nouveau continent attend encore d’être exploré.
« Considérez l’IA comme un accélérateur de connaissances. Vos compétences, vos connaissances, sont le matériau avec lequel vous travaillez. »
Tout comme le phénix renaît de ses cendres, la fin d’un cycle est-elle nécessaire pour une renaissance créative ? Si l’avenir des métiers artistiques reste en suspens, une certitude demeure : le design et la technologie continueront, main dans la main, à sculpter et transformer notre société.